La sélection de Romain Goupil

1 novembre 2024

La sortie en salle de Souviens-toi du futur a été l’occasion d’inviter le cinéaste Romain Goupil à faire sa sélection. Lorsque nous nous sommes rencontrés début octobre, venait de sortir sur les écrans Les Graines du figuier sauvage, de Mohammad Rasoulof. Son analyse du film fût l’occasion, pour lui, de nous livrer une profonde réflexion ponctuée de questionnements sur le cinéma, son rôle social, sur le cinéma militant, sur l’utilité de l’art en générale… dont nous aurions pu extraire une trentaine de titres. Ce qui est sûr, c’est que cette figure de Mai 68, grand militant s’il en est, ne confond pas cinéma et militance, même si les sujets abordés sont en parfaite adéquation avec ses convictions de citoyen. “Tout môme déjà, je vais refuser le cinéma militant et tout ce qui va illustrer un discours.”  Pour Romain Goupil, le cinéma doit divertir ou amener à réfléchir par soi-même, pas à illustrer un discours. Une sélection en seize références pour essayer de faire le tour de la question.

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    Souviens-toi du futur

    Romain Goupil - Video - MK2 - 2024

    Réalisé à l'occasion de l'exposition "Corps à corps" au Centre Pompidou, un portrait de Marin Karmitz par son ami de 50 ans. À travers la passion du producteur pour la photographie, Goupil retrace l'Histoire tragique du XXe siècle, tout en s'interrogeant sur l'importance du souvenir et de la transmission.

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    Les Dents de la mer

    Steven Spielberg - Video - Universal Pictures - 1975

    « Au niveau du spectacle, Spielberg est un maître absolu. Dans Les Dents de la mer, dans la scène du canot du prof de natation qui se retourne, la musique monte, donc on est sûr que le requin va arriver, et quand il arrive, huit cents millions de personnes, y compris moi, sursautent sur leur fauteuil. Ça, c’est un vrai talent. Spielberg nous manipule en y mettant tout son art de réalisateur et c’est génial. »

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    Bernard Minier
    Steven Spielberg
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    La Mort aux trousses

    Alfred Hitchcock - Video - Warner Bros. - 1959

    « Hitchcock maîtrise tellement les techniques de cinéma que, dans La Mort aux trousses, il inverse les effets. Il dit aux spectateurs, vous attendez tellement, quand Cary Grant descend du car et qu’une bagnole s’arrête, que les méchants vont le descendre, que je vais prendre tous les codes du polar - la nuit, la pluie, la ville, les petites rues - et les retourner. Je mets mon personnage en plein soleil, au milieu des champs, et je fais arriver un avion. Sa connaissance de la manipulation, du fonctionnement de la mise en scène, l’amène à proposer des trucs différents. Et ça marche tellement bien ! »

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    Nicolas Saada
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    M le maudit

    Fritz Lang - Video - Tamasa Diffusion - 1931

    « C’est un des premiers films que j’ai vu. Je dois avoir 12, 13 ans, c’est au cours d’un voyage organisé par la Jeunesse Communiste, en Allemagne de l’Est, à Berlin, voyage censé nous montrer à quel point le socialisme est supérieur au capitalisme. Et c’est une horreur. Dès la frontière il y a les Vopos. Les gars de la J.C. nous obligent à jouer aux échecs, la bouffe… Mais il y a un ciné-club où est projeté M le maudit. Et c’est une révélation ! La lumière est belle, les cadres, l’histoire… Tout fait que tu comprends un truc essentiel : que l’ordre s’appuie sur le désordre et que le désordre a besoin de l’ordre. Les voleurs s’associent à la recherche de ce pédophile parce qu’ils ont besoin de maintenir l’ordre, un certain ordre, celui qui permet de continuer à faire des affaires. À la fin, les braqueurs, bandits, cambrioleurs, arrêtent le personnage de Peter Lorre, et là la meute, la foule, la populace, organise un tribunal populaire. Ce fonctionnement ordre-désordre, m’a fait comprendre mille fois plus de choses qu’un film où tu vas dire le bien et faire défiler, avec la musique, la fille qui pleure, la foule qui court, une fin édifiante… C’est pour ça que Les Graines du figuier sauvage est un concentré de tout ce que je n’aime pas. »

  • Corps à corps : Histoire(s) de la photographie

    Collectif - Livre - Centre Pompidou - 2024

    « On arrive sur la question de ce qu’est une œuvre ouverte. La photo, du fait qu’elle est muette, ne nous bassine pas avec des discours. La décision de faire Souviens-toi du futur est partie d’une photo d’Eugene Smith, cet immense reporter de guerre qui, en 1957, se réfugie au 4e étage d’un loft à Manhattan. Il va y rester huit ans à photographier la vie de sa fenêtre. Dans la collection de Marin Karmitz, il y a la photo de cette femme qui est prise à moitié dans l’ombre à moitié dans la lumière. Karmitz me dit : « Toute l’histoire du cinéma moderne est dans cette photo. Tu peux tout imaginer. La femme quitte quelqu’un ou elle va le retrouver, on va venir la chercher ou elle fuit une menace, elle part en voyage ou tout simplement elle va chercher ses enfants à l’école… » En imaginant qui est cette femme et ce qu’elle peut faire à cet instant, il y a mille histoires possibles, des histoires ouvertes dont tu n’as pas la conclusion. Dans un Spielberg, le spectateur paye pour avoir une fin. Il doit sortir de la salle en ayant la résolution de la situation proposée au début du film. Si tu laisses le spectateur en l’air, il sera déçu. Dans une photo ouverte, et dans certains films, c’est au spectateur de se raconter la fin de l’histoire. »

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    Le Goût du saké

    Yasujiro Ozu - Video - Carlotta Films - 1962

    " Ozu n’a pas de discours mais il touche un truc essentiel sur l’abandon, la perte, le désespoir, les enfants qui grandissent et qui disparaissent, le fait de ne pas pouvoir en parler… Je suis touché par ce film-là. Pourquoi il n’y a pas deux noms pour désigner le cinéma ? Le cinéma de type commercial, qu’on peut juger au talent du réalisateur à t’emmener dans une histoire et à d’offrir un dénouement, Ben Hur par exemple, et les films où le réalisateur à l’ambition de proposer un film ouvert. Un film d’art et essai peut être très chiant, pas ouvert du tout, un film de spécialiste pour spécialistes. Pas Ozu. » 

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    Serpico

    Sidney Lumet - Video - Studiocanal - 1973

    « Si, en France, les films commerciaux sont souvent chiants, c’est tout bêtement par manque de talent. Je vois souvent des films américains où je suis complètement fasciné par l’intelligence, par la virulence, des films dans lesquels le spectateur va comprendre quelque chose sur l’anti-militarisme, sur la révolte… Dans ses films, Sidney Lumet propose une réflexion politique au sens noble du terme, pas au sens militant, au sens « je m’occupe de la cité. » Et il le fait pour que tout le monde puisse en discuter. » 

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    Queimada

    Gillo Pontecorvo - Video - Rimini Editions - 1969

    « Le plus important au cinéma, que le film soit bien ou pas, c’est la façon dont on va en discuter en sortant de la salle. Mais si tu veux que cette discussion soit fertile, il faut que les gens voient le film en même temps. Ça existait avec le film du dimanche soir dont tu parlais le lundi au boulot. Aujourd’hui, tu as d’un côté la possibilité d’accéder à une multitude de films, mais de l’autre une fragmentation qui va à l’encontre de ce qu’est le cinéma comme objet de discussion, de lien social. Avec l’offre incroyable des plateformes, avec quarante-cinq chaînes, on ne voit plus les films ensemble. Queimada était devenu un objet de discussions infinies. Le Silencieux, de Pinoteau, a fait le bonheur des lycéens qu’on était. Même si le film était sans intérêt, ça provoquait des discussions infinies. C’est ça qui est magnifique. » 

  • Les Règles du Mikado

    Erri De Luca - Livre - Gallimard - 2024

    « Mon admiration pour la littérature tient au fait que le livre te laisse complètement libre de ta pensée, de tes associations d’idées.  Ta lecture va résonner avec d’autres bouquins. Tu peux même décrocher. Au cinéma tout est fait pour qu’à aucun moment tu fasses une association d’idées, pour que tu restes sur ton siège quand le requin arrive ou que le poids lourd va écraser la bagnole. Toutes les étapes, de l’écriture aux projections test, sont faites pour que le plus grand nombre de gens pensent la même chose au même moment. Dans un bouquin, à aucun moment au même moment de la même page on ne pense la même chose. Je lis à mon rythme, ma compagne au sien, quelqu’un va souligner une phrase, moi je vais corner la page… Le dernier livre que j’ai lu c’est ce petit roman épatant d’Erri De Luca. » 

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    Shoah

    Claude Lanzmann - Video - Why Not Productions - 1985

    « J’ai eu une discussion avec Arnaud Desplechin où je disais que les films ne servent à rien, que le cinéma ne peut pas changer le monde. Et après un grand silence, Desplechin dit : “Si, il y a un film qui a changé le monde, c’est Shoah.” À l’époque, par rapport à l’idéologie qui était la mienne, communiste trotskiste pour qui un patron ne pouvait pas être mis au même niveau qu’un ouvrier, ce sont les nazis, avec les grands patrons, qui ont désigné un bouc émissaire, les ouvriers et les juifs, pour les faire travailler et créer de la plus-value. Pour nous marxistes, les camps de concentration étaient avant tout des camps d’exploitation, de détention, pas d’extermination. Mais pas du tout ! On s’est complètement gouré ! Lanzmann montre que c’est un phénomène précis d’extermination des Juifs en tant que Juifs. L’extermination commence à la sortie des trains. Desplechin avait raison, Shoah a changé le monde. »

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    Les Rendez-vous d'Anna

    Chantal Akerman - Video - Capricci - 1978

    « J’ai bossé un an avec elle sur Les Rendez-vous d’Anna. Plus drôle, plus sympathique, plus foldingue… Mon Dieu qu’on s’est amusé ! On s’est aimé au vrai sens du terme, on était très proches, très complices, très tendres. Donc, tout ce que je peux lire sur Chantal, ça m’émeut au centuple. Akerman, Godard, Karmitz je les connais, donc quand je lis quelque chose sur eux, pour le coup les associations d’idées fusent ! »

  • Marin Karmitz : une autre histoire du cinéma

    Antoine de Baecque - Livre - Flammarion - 2024

    « Ce qui est incroyable avec le livre d’Antoine de Baecque - ça me l’a déjà fait avec son livre sur Godard (avec lequel j’ai bossé au plus près de l’œuvre sur Sauve qui peut la vie et Allemagne année 90 neuf zéro) - c’est le fait de découvrir la biographie, la formation, l’initiation, le fonctionnement, les cahiers, tous les trucs que je ne connaissais que de manière très vague, et de les recroiser avec des éléments de discussions personnelles. C’est un privilège absolu qu’on est peu à partager, preuve de la qualité du boulot. Je connais Marin depuis 1967. On n’était pas d’accord du tout - il était Mao et moi Trotskiste, donc des ennemis. C’est quand même lui qui m’a permis de tourner mon premier court métrage Le Père Goupil, et qui, sans scénario ni rien, s’est lancé sur le projetMourir à trente ans. Il a produit également La Java des ombres. Pendant toutes ces années, on ne s’est jamais fâché. Antoine, qui a eu accès à l’ensemble des archives, a sorti ce livre incroyable. »

  • L'Art face à la censure

    Thomas Schlesser - Livre - Beaux Arts éditions - 2019

    « On parle, en cinéphilie ou en littérature, des grands passeurs comme Henri Langlois par exemple. Thomas Schlesser est de ceux-là dans le domaine de l’art. Je l’ai rencontré à l’occasion de la mise en scène d’un procès des anciens contre les modernes qui avait été organisée au Grand Palais, et au cours duquel on relisait des articles de l’époque contre Monet et les impressionnistes. Moi je faisais Monet. Quelles empoignades ! C’est inimaginable de relire tout ce qui a été écrit à cette époque, comment certains ont crié au scandale, la virulence des propos qui ont été tenus contre Monet. On pense à combien, d'œuvres ont disparu, qu’on ne verra jamais, détruites par les fascismes, les totalitarismes, Moscou, Staline… Combien, pour un Malevitch, sont morts, ont été liquidés et leurs œuvres détruites.  Et comment des œuvres qui sont considérées aujourd’hui comme des summums de l’art se sont fait démolir à leur époque. Visiter une expo avec Thomas est un privilège. »

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    Faire son temps

    Christian Boltanski - Centre Pompidou - 2020

    « J’ai été fasciné par l’exposition Faire son temps qui lui avait été consacrée à Beaubourg en 2020. Je connaissais un peu Boltanski par Marin, et j’étais passionné par ce qu’il disait sur le cinéma, par la folie de ce qu’il racontait, par cette rencontre-pas rencontre de la shoah. Dans le cadre d’un programme d’Arte - un artiste raconte sa rencontre avec une œuvre des collections de Beaubourg - je m’arrête devant les fameuses boîtes qui contiennent toute la vie des gens qui ont été éliminés. Des vies ont été détruites, mais les secrets que contiennent ces boîtes peuvent être des secrets heureux. Boltanski dit : l’existence c’est un tiret entre deux dates, et dans ce tiret il y a aussi du bonheur. »

  • Bach : six suites pour violoncelle seul

    David Watkin - Audio - RESONUS CLASSICS - 2017

    La grande absente de ma sélection, c’est la musique. Je n’ai pas d’oreille. Mais ce qui s’appelle pas d’oreille ! Mes enfants s’évanouissent. A part Johnny chantant “Gabrielle”, je ne reconnais rien. Sauf les Suites pour violoncelle de Bach, que j’adore au-delà de tout. Je peux les écouter à l’infini. Quels que soient les interprètes. Pablo Cazal bien sûr, mais tous les autres aussi. Au point que dans mes premiers films, les court-métrages et tout le reste, il y en a toujours un morceau. “Mais arrête de nous casser les pieds avec Bach !” me disaient mes proches. »

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    L'album de sa vie

    Georges Brassens - Audio - Philips Universal - 1952

    « Je ne parle pas bien l’anglais, donc je ne comprends pas les paroles des chansons anglo-saxonnes. Et j’ai eu une détestation pour les chansons à texte sur-signifiantes. Je n’aime pas du tout Lavilliers, Valérie Lagrange… les icônes de 68 m’insupportent. Mais, poésie absolue, j’adore Brassens ou Dylan, ou Janis Joplin, ces trucs de pure provocation. »


Souviens-toi du futur
Romain Goupil

Les Dents de la mer
Steven Spielberg

La Mort aux trousses
Alfred Hitchcock

M le maudit
Fritz Lang

Corps à corps : Histoire(s) de la photographie
Collectif

Le Goût du saké
Yasujiro Ozu

Serpico
Sidney Lumet

Queimada
Gillo Pontecorvo

Les Règles du Mikado
Erri De Luca

Shoah
Claude Lanzmann

Les Rendez-vous d'Anna
Chantal Akerman

Marin Karmitz : une autre histoire du cinéma
Antoine de Baecque

L'Art face à la censure
Thomas Schlesser

Faire son temps
Christian Boltanski

Bach : six suites pour violoncelle seul
David Watkin

L'album de sa vie
Georges Brassens

Dans cette sélection

  • Romain Goupil | Souviens-toi du futur
  • Steven Spielberg | Les Dents de la mer
  • Alfred Hitchcock | La Mort aux trousses
  • Fritz Lang | M le maudit
  • Collectif | Corps à corps : Histoire(s) de la photographie
  • Yasujiro Ozu | Le Goût du saké
  • Sidney Lumet | Serpico
  • Gillo Pontecorvo | Queimada
  • Erri De Luca | Les Règles du Mikado
  • Claude Lanzmann | Shoah
  • Chantal Akerman | Les Rendez-vous d’Anna
  • Antoine de Baecque | Marin Karmitz : une autre histoire du cinéma
  • Thomas Schlesser | L’Art face à la censure
  • Christian Boltanski | Faire son temps
  • David Watkin | Bach : six suites pour violoncelle seul
  • Georges Brassens | L’album de sa vie

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