« Les Loups est un long métrage, pas le premier de son autrice, la cinéaste, monteuse, actrice (...) Isabelle Prim, mais le premier de ses films à sortir enfin en salles, et il était temps qu’on découvre enfin sa folle inventivité et son génie de l’entremêlement des images, des sons et des temps avec Les Loups, qui autour d’un château lozérien, celui de Saint-Alban, fait dialoguer la traque d’une bête mythique, celle du Gévaudan, et l’invention d’une pratique libératoire, la psychiatrie institutionnelle. Le tout filmé, ça tombait sous le sens, dans une Ménagerie, celle de verre que dirige Philippe Quesne. » Antoine Guillot - France Culture

« Il s’agit d’un film sur un deuil, et ce qui est très beau, c’est la manière dont Manoel De Oliveira conjure la psychologie. Le film commence par une représentation théâtrale avec Piccoli sur scène, donc doublement acteur. On comprend alors que quelque chose se trame en coulisse, dans ce qui serait le hors-champ, mais auquel on aurait accès grâce au cinéma, dans des plans très longs, des silences. On sent qu’il se trame quelque chose, mais l’évocation suffit. C’est un film très étonnant. Manoel De Oliveira n’a pas peur d’un jeu extrêmement précis, ce jeu entre le théâtre et le jeu du film. C’est magnifique. » 

« Christoph Marthaler est un auteur qui m’a fait découvrir le théâtre allemand quand j’ai vécu à Berlin. Ici, il travaille avec des acteurs un peu mis sur la touche de la Volksbühne de Berlin, qui jouent moins, plus âgés. Comme il y a très peu de texte, le récit passe par une mécanique qui se met en route avec des personnages hésitants, comme au ralenti, timides, prudents, qui ne savent pas trop quoi faire d’eux-mêmes, qui fredonnent, qui n’osent pas quelque chose mais qui chantent. C’est très drôle. Il y a des ressorts comiques qui se logent dans des micro actions, des drames métaphysiques. Étant donné qu’il se passe peu de chose, on est très attentif à la distance entre les uns et les autres, au fait que ça puisse s’enrayer. C’est une histoire de répétitions, de fatigue, mais il y a toujours ce pianiste chanteur qui est là pour redonner un peu de jus. » 

« Il y a eu une magnifique exposition consacrée à Bertille Bak l’année dernière, au musée du Jeu de Paume. Son travail est très hétérogène dans l’emploi des matériaux. Bertille Bak travaille sur des groupes invisibilisés, des demandeurs d’asile à Pau, l’équipage d’un bateau de croisière à Saint Nazaire… Elle s’approche d’eux sans scénario, elle les met en scène sans surplomb ni cynisme, il n’y a pas d’instrumentalisation de sa part. Elle arrive à égalité et, ensemble, ils fabriquent quelque chose de l’ordre du performatif. Du coup ça donne plein d’avatars, il y a des objets, des films, des incrustations. C’est très joueur. »

« C’est un morceau qu’on entend dans Les Loups, dans une version interprétée par Bruno Rossignol. C’est une suite en mi mineur que Jean-Philippe Rameau a composée pour clavecin et qui a beaucoup été reprise au piano. Cette idée du rappel, rien que le titre, quand on l’écoute et qu’on se rappelle que ça s’appelle “Le Rappel des oiseaux”, c’est une sorte de vertige. C’est sublime. Quand j’écris je n’écoute que du piano, des pièces que je peux écouter en boucle, en boucle, en boucle. »

« Quand j’étais étudiante, Alain Resnais m’a donné confiance à la fois dans le récit, et l’expérimentation formelle, ainsi que le courage du montage. Mélo, est l’adaptation de la pièce de Henri Bernstein (1929), une sorte de vaudeville très piquant dans lequel la musique est comme un ressort dramaturgique. C’est très intéressant ce que fait Resnais de la musique. La caméra tourne très lentement autour de situations. Et il y a une charge érotique très forte quand le personnage interprété par Sabine Azéma est au piano et celui d’André Dussollier est, lui, au violon. »

« Ce livre a été ma bible pendant mon travail sur Les Loups. Ce sont des textes qui ont été choisis, ordonnés et présentés par Joana Masó. François Tosquelles est ce psychiatre catalan qui a complètement réinventé la psychiatrie. Jean Oury, qui plus tard ouvrira la clinique de La Borde, a été interne à Saint Alban. C’est un livre généreux, très fidèle à toute l’invention de Tosquelles, sur la déconniatrie qui est une façon d’appeler l’association libre des patients. Même quand on ne connaît pas François Tosquelles ce livre est une mine d’or. » 

« Il s’agit d’un texte inachevé qui met en scène un personnage qui apprend la perte d’une femme qu’il idolâtrait, et qui se persuade qu’il va mourir prochainement. La manière dont Nerval entremêle plusieurs niveaux de récits, de choses qu’il perçoit, de va-et-vient entre ses rêves et ce qui se passe autour de lui est exceptionnelle. Et il y a cette phrase qui me hante et que je connais par cœur :  “Ici a commencé pour moi ce que j’appellerai l’épanchement du songe dans la vie réelle.” Avec l’épanchement on pense tout de suite à la blessure, à quelque chose qui dégouline dans la vie réelle. C’est une phrase qui résonne différemment à chaque film que je fais. » 

« C’est un film dans lequel une troupe de gens atteint de malformations employés dans un cirque finissent par se révolter contre un personnage qui se moque d’eux. Pour autant le film retourne complètement la morale. Le cirque, c’est un peu l’abri de ces gens. Ils sont comme sous cloche. L’abri c’est l’asile, c’est ce qu’en fait Ted Browning. Ça pourrait être une sorte de laboratoire où on voit des gens s’agiter, mais pas du tout. C’est beaucoup plus complexe. C’est un très beau film. » 

« Henry Darger, dont on a découvert le travail à sa mort en 1973, est considéré comme un artiste de l’art brut exposé en France au LaM à Villeneuve-d’Ascq. Ce qu’on connaît surtout de lui, ce sont les Vivian Girls, ces petites filles qui subissent des choses affreuses mais représentées dans des scènes aux couleurs pastel, très naïves. La part biographique est centrale dans le travail de Darger qui a été fortement marqué par les traitements qu’il a subis dans les institutions dans lesquelles il est passé. Son rapport à la religion est aussi très important. Dans son travail Darger fait l’éloge de l’enfance. C’est ce qui se passe autour qui est monstrueux. Lui ne veut pas en sortir, c’est tout le reste qui l'abîme. » 

« C’est un de ses premiers films de Lucrecia Martel. Une sorte de fresque familiale dans laquelle il n’y a aucune distinction entre les mouvements des corps et les sentiments. Tout se déplace, tout circule, c’est une sorte de chorégraphie intégrale. Il n’y a pas ici l’idée d’un groupe homogène. C’est un groupe pour ce qu’il contient d’individus, d’éclatements. Ça me trouble toujours quand on voit le groupe comme quelque chose d’homogène, de collectif. Un groupe ça crépite. Le mise en scène de ce film est très impressionnante. »

« C’est l’histoire d’une riche héritière qui retourne avec son mari dans la maison où on est censé rendre un hommage à son père mort à Auschwitz. Mais c’est à peine évoqué, ce n’est pas le sujet du film. Dans cette maison, l’héritière, Claudia Cardinale, retrouve un frère avec lequel on comprend qu’elle a eu des relations incestueuses. Mais cette histoire d’inceste est saisie dans autre chose que le récit qu’en fait Visconti. C’est dans la circulation, la manière dont Claudia Cardinale ouvre les portes de cette grande maison, qu’elle fait bouger les espaces, les fantômes quand elle passe qu’on sent le poids du passé. C’est très beau la façon dont Visconti occupe l’espace. »