La sélection de Laure Limongi

7 février 2025

Laure Limongi est une autrice qui, depuis Doublement Sexie paru en 2000, bouscule les formes et les genres pour plonger toujours plus profond dans la littérature. « Dans cette sélection, qui fait des déclics dans mon travail, il y a des lignes de force : la polyphonie, le rapport au documentaire, comment on arrive à importer des éléments documentaires dans la fiction ou la création, la liberté formelle puisque j’adore les œuvres qui partent dans tous les sens, qui surprennent, et l’humour en tant qu’il décrit des choses graves, qu’on peut s’en servir pour faire passer de l’émotion différemment. » À l’occasion de la publication de son roman L’Invention de la mer, Laure Limongi a accepté notre invitation et nous a livré sa sélection.

< La sélection >

FERMER

Cherchez ce titre dans votre bibliothèque :

En Physique

Les autres titres du même auteur :

En Physique
  • L'Invention de la mer

    Laure Limongi - Livre - Le Tripode - 2025

    Dans L'Invention de la mer, nous sommes en 2133, et Violeta Benedetti-Ogundip, la narratrice, nous raconte qu’elle a retrouvé deux textes oubliés qu’elle a traduit pour l’occasion. Oui mais voilà, la narratrice est une chimère mi-humaine mi-poulpe, l’autrice du premier texte une chimère cachalot, et l’écrivain du deuxième une chimère crabe. Avec L'Invention de la mer, sorte de récit mythologique qui mêle roman, conte et poésie, Laure Limongi nous livre la cosmogonie conjuguée au passé antérieur d’un monde marin ravagé dans lequel nous plongeons tête la première.

  • Voir la vidéo

    Big Sun

    Chassol - Audio - Tricatel - 2015

    « Ce qui m’intéresse ici, c’est comment on écrit oiseau, comment on compose de la musique oiseau. C’est ce que fait Chassol puisqu’il compose avec tout ce qui l’entoure. Il harmonise le réel. Big Sun est un album composé en Martinique qui est le berceau de sa famille. C’est à la fois un voyage sonore qui mêle des atmosphères de marchés, d’un carnaval, on entend des voix qui m’ont fait penser, dans un genre différent, à certains travaux de Rodolphe Burger. C’est une rêverie ornithologique qui me parle beaucoup puisque dans L’Invention de la mer j’ai traduit du cachalot et du crustacé ! Big Sun c’est à la fois une œuvre très belle et très profonde. » 

  • Vivre dans le feu

    Antoine Volodine - Livre - Seuil - 2024

    « Vivre dans le feu est le dernier opus d’une fresque qu’Antoine Volodine a commencée en 1985 avec Biographie comparée de Jorian Murgrave, et dont il a lui-même annoncé clore le cycle qu’il signe de ce nom, Antoine Volodine, l’un des porte-parole de la littérature post-exotique également représentée par Manuela Draeger, Elli Kronauer, Lutz Bassmann… en fait Antoine Volodine lui-même. La littérature post-exotique c’est une œuvre collective composée de dissidents et dissidentes, de prisonniers prisonnières, combattant.e.s, et révolutionnaires. Vivre dans le feu s’ouvre sur un bombardement au napalm. Sam, le protagoniste, sait qu’il lui reste deux ou trois secondes à vivre, le temps nécessaire pour narrer son histoire sous la forme d’un roman. On retrouve une lignée de chamans, comme souvent dans les livres d’Antoine Volodine, qui forment Sam à la technique qui permet de vivre dans le feu, pratique utile pour lui dans la situation dans laquelle il se trouve, et pour nous lecteurs parce qu’il y a un aspect allégorique dans ce feu. Il y a évidemment quelque chose de politique dans les livres de Volodine. Il y a l’intensité de l’art et de la poésie, un rapport à la magie, mais aussi la nécessité de ne jamais se laisser enfermer dans aucune case, aucun genre, aucune catégorie, une chose à laquelle je tiens également beaucoup. Antoine Volodine est un monument. » 

  • Ida ou le délire

    Hélène Bessette - Livre - Othello - 1973

    « J’ai rencontré l’écriture d’Hélène Bessette un jour de printemps frais de ma vingt-deuxième année, à la terrasse d’un café où je grelotais. C’est alors que j’ai vu surgir devant mes yeux N’avez-vous pas froid d’Hélène Bessette, quand j’ai réalisé que Claude Royet-Journoud, poète et grand défenseur de l’œuvre d’Hélène Bessette, habitait juste au-dessus du café et qu’il avait fait descendre le livre avec un fil de pêche ! Ça peut sembler loufoque, mais Claude Royet-Journoud était révolté par l’oubli dans lequel l’autrice était tombée. Il avait donc acheté des caisses entières de ses livres pour les offrir à tour de bras, en se disant qu’il y aurait un déclic un jour quelque part. Quand je suis devenue éditrice j’ai repensé à Hélène Bessette, et j’ai republié ses romans. Dans Ida Hélène Bessette exprime tout son talent littéraire avec beaucoup de justesse, de cruauté, d’engagement, puisqu’il est question, comme dans tous ses romans, des dominants et des dominés. Elle était aussi très intéressée par les arts plastiques et la musique qui, pour elle, dans les années cinquante, étaient plus en avance que la littérature. Elle a vraiment essayé d’importer des techniques d’avant-garde dans le roman. Elle reste pour moi une autrice fondamentale que je continue de lire, notamment Ida ou le délire. »

  • Ouvrir Vénus

    Georges Didi-Huberman - Livre - Gallimard - 1999

    « Pour moi, la lecture d’essais accompagne l’écriture dans la mesure où cette lecture peut créer des déclics, nourrir l’imaginaire autrement. Dans Ouvrir Vénus, Georges Didi-Huberman opère à la fois une critique de la nudité féminine et une théorie de l’image dans lesquelles il rend à la nudité dans l’art tout son arrière-plan de violence et de cruauté puisque c’est souvent les femmes qu’on déshabille. Mais il fait aussi référence à un récit du Décaméron dans lequel une jeune femme est poursuivie par un fantôme harceleur. Georges Didi-Huberman a une intelligence lumineuse, sensible, précise, qui donne l’impression qu’il y a des potentialités exaltantes qui s’ouvrent vers la poésie, la liberté. C’est un livre très important que j’ai lu et relu. »

  • Mona Hatoum

    Mona Hatoum - 2022

    « L’exposition monographique qui a été consacrée à Mona Hatoum en 2015, au Centre Pompidou, m’a beaucoup marquée. Mona Hatoum est une artiste britannique d’origine palestinienne dont l’humour sous-jacent irrigue tout son travail alors même qu’elle évoque souvent des sujets tragiques comme la guerre ou la migration. C’est une sorte de politesse du désespoir qui est une constante de beaucoup de ses œuvres. “Bullet-holes ... Grater Divide” (2002), est une œuvre emblématique, paravent et râpe à fromage hyper coupante à la fois, grotesque, mais à échelle humaine ! C’est drôle et menaçant, abrasif, ça pousse à s’interroger sur la violence quotidienne, la façon dont elle peut s’opérer sans bruit sur les femmes dans le cadre domestique. Mona Hatoum utilise aussi la broderie et la tapisserie pour, à chaque fois, créer des œuvres qui maintiennent ce même équilibre entre famille et politique. »

  • Voir la vidéo
    Localiser

    Let England Shake

    PJ Harvey - Audio - Island - 2012

    « J’attends chaque nouvel album de PJ Harvey avec impatience, car chacun témoigne d’une volonté de se renouveler tout en restant fidèle à la qualité de l’écriture, aux arrangements, à la voix, à l’expérimentation musicale, bref, à tout ce que j’aime en musique. Let England Shake a accompagné l’écriture du dytique On ne peut pas tenir la mer entre ses mains et Ton cœur à la forme d’une île qui a pour sujet mon île de naissance, la Corse. Dans Let England Shake, PJ Harvey parle de son Angleterre natale, de cette passion critique mais viscérale, nostalgique, dans laquelle j’ai reconnu l’ambivalence qui pulse chez beaucoup d’insulaires. C’est une fresque intemporelle, poétique, une épopée de la violence humaine dans laquelle PJ Harvey arrive à tenir l’équilibre entre l’émotion, le documentaire et la poésie, comme une funambule qui chanterait pour tous les morts et tous les vivants. »

  • Manifeste du tiers paysage

    Gilles Clément - Livre - éditions du commun - 2004

    « Dans cet essai, Gilles Clément développe sa notion de tiers paysage. “C’est un fragment indécidé du jardin planétaire qui désigne la somme des espaces où l’homme abandonne l’évolution du paysage à la seule nature.” Gilles Clément valorise donc les friches, les espaces où l’homme n’intervient pas, ce qui contraste avec la surexploitation du vivant opérée par les êtres humains. Ça m’intéressait beaucoup pour le livre que je viens d'écrire. Certes, cette surexploitation a touché la mer un peu plus tard historiquement, mais elle est en train de la détruire. J’aime beaucoup la pensée de Gilles Clément dont j’avais aussi écouté la leçon inaugurale au Collège de France en 2011. Il a une écriture précise et facétieuse qui arrive à déplacer le regard. »

  • L'Art de la joie

    Goliarda Sapienza, Nathalie Castagne - Livre - Le Tripode - 2005

    « Pour moi, il y a un avant et un après la découverte de L’Art de la joie. C’est un long roman qui exalte la liberté, la joie, mais sans mièvrerie. C’est aussi un roman politique qui évoque l’histoire de l’Italie du début du XXe siècle - très intelligemment Goliarda Sapienza a fait naître son héroïne en 1900 ce qui nous évite d’avoir à calculer son âge quand on avance dans le roman ! - et ça se termine dans les années soixante avec la gauche italienne et la montée du fascisme. Goliarda Sapienza mêle parfaitement l’histoire de Modesta, son personnage principal, et celle de l’Italie. Elle arrive à écrire poétiquement et politiquement, et il est impossible de l’enfermer dans le moindre carcan que ce soit. Elle a un geste libre, souverain. Je ne peux que conseiller de découvrir L'Art de la joie et de se lier d’amitié avec son héroïne. »

  • Les Détectives sauvages

    Roberto Bolaño - Livre - Points - 1998

    « C’est un monument, un roman long, puissamment polyphonique, profondément digressif, à la fois récit d’initiation, manifeste poétique et une quête dans lequel on retrouve ce mélange de profondeur et de drôlerie qu’on retrouve aussi chez Mona Hatoum, un espace de création qui est particulièrement fécond. Les Détectives sauvages est composé de trois parties hétérogènes qui se déroulent entre 1975 et 1996. Ça commence par le journal de Juan García Madero qui abandonne ses études de droit pour se consacrer à la poésie après avoir fait la rencontre d'Ulises Lima et Arturo Belano, chefs de file des réal-viscéralistes. Ce roman est une épopée qui est aussi l'exaltation d’une liberté, à la fois pivot formel et thématique de l’œuvre. J’aurais aussi pu choisir Appels téléphoniques que j’offre souvent pour inviter les gens à entrer dans l’œuvre de Bolaño, ou Poèmes ressorti récemment en poche, parce que tout Bolaño est marqué du sceau de la nécessité. »

  • L'excès-l'usine (plus un entretien avec Marguerite Duras et un texte de Maurice Blanchot)

    Leslie Kaplan - Livre - P.O.L. - 1982

    « Leslie Kaplan fait partie de ces intellectuels qui se sont établis à l’usine à la fin des années soixante. Elle a publié ce livre une quinzaine d’années plus tard, livre qui emprunte à L’Enfer de Dante sa composition en neuf cercles, et qui invente une langue pour cerner cette expérience, sans naturalisme ni manichéisme, au plus près de la matière et de la sensation, avec des phrases courtes, au féminin générique, des couleurs par touches, une manière de dire les choses totalement nouvelle. Leslie Kaplan cite Cézanne comme référence dont elle dit : “J’avais été frappée par une exposition, une rétrospective de Cézanne, et j’avais lu qu’il voulait peindre par tous les côtés en même temps. Et d’une certaine façon, je crois que je voulais écrire comme ça, par tous les côtés en même temps, c'est-à-dire, donner sa voix et prendre au sérieux chacun des personnages.” Ça en dit long sur le projet de Leslie Kaplan, cette nécessaire polyphonie littéraire à laquelle je souscris. Ce sont souvent des gestes venus d’autres arts qui permettent à la langue de se réinventer, de trouver d’autres chemins. » 

  • Voir la vidéo
    Localiser

    Twin Peaks

    David Lynch - Video - TF1 - 1990

    « Twin Peaks, c’est deux saisons dans les années quatre-vingt-dix, la troisième en 2017, Twin Peaks : The Return, et le film Twin Peaks: Fire Walk with Me, en 1992. Le tout forme une œuvre indécidable où réel et imaginaire, rêve et réalité sont des notions poreuses. Cette série et ce film sont en prise avec les mythes, avec la magie, à la frontière entre la vie et la mort. Il y a les incontournables ; les hiboux, la femme à la buche, les poissons dans le percolateur, le rideau qui couine, le petit à lunettes, la musique d’Angelo Badalamenti, un ensemble qui constitue un univers devenu mythique, mais tout en en préservant, à chaque nouvel opus, un souffle nouveau, une audace expérimentale, une loufoquerie, un sens de l’horreur reconnaissables entre tous. Dans mon livre Fonction Elvis, j’y fais mention à travers une citation de Greil Marcus qui dit : “J’ai réalisé hier soir qu’avec son goût pour la drogue et le sexe, sans parler de son statut de yéti du jugement dernier, Elvis est la réponse à la question : qui a tué Laura Palmer” »


L'Invention de la mer
Laure Limongi

Big Sun
Chassol

Vivre dans le feu
Antoine Volodine

Ida ou le délire
Hélène Bessette

Ouvrir Vénus
Georges Didi-Huberman

Mona Hatoum
Mona Hatoum

Let England Shake
PJ Harvey

Manifeste du tiers paysage
Gilles Clément

L'Art de la joie
Goliarda Sapienza, Nathalie Castagne

Les Détectives sauvages
Roberto Bolaño

L'excès-l'usine (plus un entretien avec Marguerite Duras et un texte de Maurice Blanchot)
Leslie Kaplan

Twin Peaks
David Lynch

Dans cette sélection

  • Laure Limongi | L’Invention de la mer
  • Chassol | Big Sun
  • Antoine Volodine | Vivre dans le feu
  • Hélène Bessette | Ida ou le délire
  • Georges Didi-Huberman | Ouvrir Vénus
  • Mona Hatoum | Mona Hatoum
  • PJ Harvey | Let England Shake
  • Gilles Clément | Manifeste du tiers paysage
  • Goliarda Sapienza, Nathalie Castagne | L’Art de la joie
  • Roberto Bolaño | Les Détectives sauvages
  • Leslie Kaplan | L’excès-l’usine (plus un entretien avec Marguerite Duras et un texte de Maurice Blanchot)
  • David Lynch | Twin Peaks

la playlist