C’est Joan Baez, alors immense vedette, qui mit la carrière de Bob Dylan sur orbite en le présentant à son public à l’été 1963. « J’avais des publics qui allaient jusqu’à 10 000 personnes, et traîner mon petit vagabond sur scène était une grande expérimentation et un pari. », racontera-t-elle. On connaît la suite et la façon dont Dylan ne lui rendra jamais la pareille. Malgré tout, Joan Baez reviendra avec tendresse sur leur histoire d’amour sur le morceau “Diamond and Rust” qui donne son nom à cet album. Elle reprendra même “Simple Twist of Fate” que Bob himself a gravé sur Blood on the Tracks. Ironie de l’histoire, Diamonds and Rust reste le plus grand succès de Joan Baez à ce jour.

The Band est un groupe qui s’est formé autour de Ronnie Hawkins au début des années soixante. C’est en 1965 qu’ils commencèrent à jouer avec Dylan sur scène et sur disques, jusqu’aux années 1975. Mis à part leur travail avec Bob, The Band produira la meilleure synthèse de toutes les musiques populaires américaines qui reste encore aujourd’hui un des piliers de l’americana. Le groupe devint tellement populaire aux État-Unis que leur concert d’adieu sera filmé par Scorsese qui en connait un rayon en matière de rock. The Last Waltz est, depuis, devenu ce concert légendaire qui réunit le gratin de l’époque, de Clapton à Muddy Waters en passant par Joni Mitchell, Ronnie Hawkins, Neil Young, Van Morrison, et Bob, of course. 

A l’époque où il tourne Pat Garrett et Billy The Kid, Dylan n’est pas à son meilleur musicalement, mais à l’occasion de sa première apparition sur grand écran dans un rôle de fiction (aux côtés de James Coburn et de Kris Kristofferson - disparu en septembre dernier), Dylan signe une bande son tout en finesse, et dont le “Knockin’ On Heaven’s Door” sera transformé en tube planétaire, une vingtaine d’années plus tard, par Guns and Roses. 

Documentaire filmé au cours de sa tournée de 1965 en Angleterre, Don't Look Back s'attache à saisir Dylan tout au long des trois semaines que dura son odyssée. Mais là où l'on s'attendrait à voir défiler une succession d’extraits de concerts, D.A. Pennebaker filme l’arrière-plan et montre l'icône sous un jour complètement différent, Dylan apparaissant sous différentes facettes et dans toute sa complexité, en coulisses, lors de banquets, lors d'interviews ou dans les chambres d'hôtel. Avec Don't Look Back D.A. Pennebaker désacralise l’icône et invente le docu-rock.

Pour contourner le piège du film hagiographique qui fait bâiller, Todd Haynes (Velvet Goldmine 1998, Loin du Paradis 2002, May December 2023) s’est entouré de pas moins de six acteurs (Christian Bale, Cate Blanchett, Marcus Carl Franklin, Richard Gere, Heath Ledger, Ben Whishaw) pour incarner chacun une facette du personnage Bob Dylan. Il fallait bien ça tant le barde du Minnesota a multiplié les contre-pied depuis ses débuts. Remarquable.

Le scénario de Masked and Anonymous est cosigné par Bob Dylan : « Dans une Amérique fictive plongée dans une guerre civile, un concert caritatif est organisé. Un poète errant nommé Jake Fate sort de prison pour mener ce concert avec l'espoir d'apporter la paix dans un pays qui a basculé dans le chaos et l'anarchie. » Dylan, qui interprète le chanteur (avec la tête de Chaplin qui aurait troqué son chapeau melon pour un Stetson), endosse donc dans ce film le rôle qu’il n’a eu de cesse de refuser dans la vraie vie, celui de l’icône sur les épaules de laquelle repose tous les espoirs d’une génération. Détail qui n’en est pas un, dans les scènes musicales Dylan est entouré d’un des meilleurs groupes qu’il a eu depuis The Band. 

“ Dès ses premiers pas sur scène, Bob Dylan ne peut échapper au cinéma, se transformant en personnage de film pour Andy Warhol, D.A. Pennebaker et Sam Peckinpah. Il s'improvise metteur en scène avec l'ambitieux Renaldo and Clara, œuvre imprévisible. Sa passion de cinéphile pour le septième art s'exprime aussi dans sa prose, avec des clins d’œil à Hitchcock, Gregory Peck et Titanic de James Cameron. Son imaginaire croise les routes de Sam Shepard, Cate Blanchett, Martin Scorsese, le Joker et Stephen Frears. Alors que Jean-Luc Godard lui rend hommage au fil de sa filmographie, Todd Haynes démontre l'impossibilité de dresser son portrait biographique avec I'm Not There. Bob Dylan, au cinéma comme ailleurs, est toujours là où on s'y attend le moins, déroulant une étincelante série de rêves.” 

Le 25 juillet 1965, lorsqu’il grimpe sur la scène du festival de Newport, Bob Dylan est encore pour bon nombre de ses fans un chanteur de folk songs dans la tradition de ses aînés, Pete Seeger en tête. Armé d’une Fender Stratocaster, entouré d’un groupe lourdement amplifié, le jeune homme va secouer, sur l’air de « Maggie Farm » ou de « Like A Rolling Stone », un public de puristes. Rien ne sera plus comme avant. Le livre - indispensable - dont est tiré le film Un parfait inconnu.  

« J’étais malade des extrapolations bâties sur mes morceaux, écrit-il dans Chroniques, de les voir retournés à des fins polémistes, d’être sacré Frère aîné de la rébellion, Pape de la contestation, Tsar de la dissidence, Baron de l’insoumission. » Alors, le futur prix Nobel de littérature de 2016 (qui n’ira pas chercher son prix mais qui lui sera remis lors d'un concert à Stockholm) prend les choses en main et écrit, dans le désordre, l’histoire telle qu’il a envie de la raconter. On attend toujours le volume 2.

Quand il s’embarque pour la fameuse tournée Rolling Thunder Revue (en hommage à un chef indien du même nom) qu’il imagine comme la caravane d’un cirque qui ne s’arrêterait que dans des petites salles de 2000-3000 personnes maximum, voire dans des salles communales ou des gymnases, Dylan a en tête de tourner un film sous l’influence de Tirez sur le pianiste de François Truffaut et de Les Enfants du paradis de Marcel Carné, film dont le scénario serait écrit au jour le jour. Il engage alors Sam Shepard, dramaturge et scénariste déjà reconnu (et futur scénariste de Paris-Texas). Mais les choses ne se passent pas vraiment comme prévues, ce que raconte Sam Shepard dans ce livre passionnant. 

Le rock est chez Martin Scorsese le fuel qui alimente son moteur personnel et créatif. Son expérience sur le montage du film Woodstock est le premier élément d’une filmographie musicale au générique de laquelle on retrouve les Rolling Stones (Shine a Light), The Band (The Last Waltz), George Harrison (Living in the Material World), et récemment David Johansen l’ex chanteur des New York Dolls (Personality Crisis, One Night Only). Pouvait-on imaginer qu’il laisse un sujet comme Dylan sur le bord de la route ? Et bien sûr No Direction Home - Bob Dylan est un documentaire passionnant. Et pas le seul.

Ce n’est donc pas un, mais deux films que Scorsese a consacrés à Bob Dylan. Rolling Thunder Revue est le deuxième, qui mêle archives et vraies-fausses interviews de personnalités racontant leurs vrais-faux souvenirs de cette fameuse tournée. Bien sûr on pense au fameux film Renaldo et Clara que Dylan a réalisé mais qu’il a retiré de la circulation et qu’on ne verra probablement jamais plus. Mais il ne faut pas prendre ce drôle d’objet pour un documentaire qui nous révélerait LA vérité dylanienne. L'objet du film de Scorsese est ailleurs : il aborde le mythe, ce mythe dont Dylan s’emploie à brouiller le récit depuis maintenant soixante ans.