Je pourrais citer toute l’œuvre de Trenet qui est un grand poète, mêlant la fantaisie, la nostalgie et un sens de la mélodie extraordinaire, mais j’aime particulièrement cette chanson de 1951 qui nous rappelle qu’il a été le contemporain d’André Breton, des surréalistes et de l’écriture automatique. La revanche des orages / A fait de la maison / Un tendre paysage / Pour les petits garçons / Qui brûlent d'impatience / Deux jours avant Noël / Et, sans aucune méfiance, / Acceptent tout, pêle-mêle : / La vie, la mort, les squares / Et les trains électriques, / Les larmes dans les gares, / Guignol et les coups de triques, / Les becs d'acétylène / Aux enfants assistés / Et le sourire d'Hélène / Par un beau soir d'été.

Je n’imagine pas une vie sans Otis Redding, Aretha Franklin ou Marvin Gaye, et pour moi, Amy Winehouse est une des plus belles voix de la soul.  Malheureusement elle a fait son entrée dans le club des 27, ces légendes du rock fauchés dans leur vingt-septième année. Malgré son caractère sombre je peux écouter Back to Black en boucle, de manière tout à fait obsessionnelle et déraisonnable. 

Grégoire Courtois (Les Lois du ciel), sous le nom de Tristan Saule, a commencé une entreprise assez démente chez un éditeur qui s’appelle Le Quartanier. Il s’agit d’un ensemble qui va s’appeler Chroniques de la place carré, et c’est un moyen qui permet de raconter la France d’aujourd’hui dans une espèce de zone périphérique. Le premier tome est sorti en poche chez Folio, et le deuxième Héroïne et qui vient de sortir est aussi bon que le premier, et on commence à deviner l’ampleur du projet.   

Il s’agit d’un petit essai écrit en prison par Paul Lafargue (1842-1911), gendre de Karl Marx, et très engagé dans le mouvement ouvrier. Il fut même député de Lille, ma ville natale. Le Droit à la paresse est d’une extraordinaire modernité. Dans ce texte, Lafargue explique que le travail ne doit être qu’un moyen, pas une fin, que les gains de productivité doivent se traduire par plus de temps libre, ce qu’il appelle la paresse au sens de récupérer du temps pour soi. Il montre aussi tout ce qu’a d’aliénant le travail moderne qui entraîne une surproduction qui finit par entraîner la guerre et des atteintes irréversibles à l’environnement. En 1880 !

Dans cette édition Quarto, sorte d’antichambre de la Pléiade, on prend enfin au sérieux le roman noir comme moyen de peindre les contradictions de la société, mais aussi comme lieu d’expérimentations littéraires et stylistiques. Manchette invente son propre style pour dire le monde de son temps. Les sujets qu’il aborde sont éminemment politiques. Ce ne sont plus de simples histoires de truands, Manchette nous parle de l’impasse existentielle des sociétés de consommation comme dans Le Petit bleu de la côte ouest, ou La Position du tireur couché, ou encore la collusion entre le milieu, le monde politique et celui des affaires. Je souligne que ce qui est important, c’est l’humour glacé de Manchette, son ironie. C’est au bout du compte un écrivain formidablement élégant.

C’est un roman total, certainement un des plus grands du siècle précédent. C’est avec lui que je prends conscience de la littérature, du fait qu’un grand écrivain est celui qui invente sa propre langue pour dire le monde. Si Céline était mort juste après la parution du Voyage, on n’aurait retenu que l’essentiel de son roman, la dénonciation de la guerre comme carnage industriel, l’horreur du colonialisme, la manière dont le capitalisme asservit l’homme, notamment dans l’épisode américain des usines Ford, ou encore la misère des classes populaires à l’aube des années trente. C’est un livre total qui sait aussi célébrer la beauté et l’amour toujours possible, mais toujours vaincu… jusqu’à la prochaine fois. 

Nathalie Séchard, celle qui incarna l'espoir de renouveau à la tête de l'État, a décidé de jeter l'éponge et de ne pas briguer un second mandat. La succession présidentielle est ouverte. Au sein du gouvernement commence alors un jeu sans pitié. Dans une France épuisée par deux ans de combats contre la pandémie, les antivaxs manifestent, les forces de police font appliquer un confinement drastique, les émeutes se multiplient. Le chaos s'installe. Et Clio, vingt ans, normalienne d'ultragauche, fille d'un prétendant à la présidence, devient une cible... 

« La littérature doit être un lieu de suspension idéologique. Dans les romans, les idées, je les emmerde. » JL

J’ai dû voir ce film pour la première fois à la télévision au milieu des années soixante-dix, dans une émission qui s’appelait L’Avenir du futur. Charlton Heston y campe un médecin devenu l’unique survivant d’une épidémie déclenchée par une guerre bactériologique. Il erre seul dans Los Angeles après avoir eu le temps de se vacciner avant l’apocalypse virale. Ce film adapté d’un roman de Richard Matheson a façonné chez moi un certain imaginaire de l’effondrement qui hante pas mal de mes livres. On peut noter qu’à ce tournant des années soixante soixante-dix, Charlton Heston devient, au cinéma, l'icône américaine d'une civilisation qui entrevoit confusément sa propre fin. C’est le même qui, en 1968, est le héros de La Planète des singes, et en 1973 de Soleil vert. Deux grands films qui conjuguent la solitude et la fin du monde tel qu’on l’a connu.

Pour moi, aujourd’hui, la série est peut-être le seul mode de narration originale, de création de l’imaginaire inventé par le XXIe siècle. Même si le format existait avant, c’est réellement à partir du XXIe siècle que la série devient un art majeur. Anna, cette série italienne post-apocalyptique, est un magnifique objet plastique, avec des acteurs formidables, que des enfants, et pour cause, puisqu’un virus tue les humains dès qu’ils atteignent la puberté. Anna montre deux choses. La première, c’est que l’enfance est tout sauf innocente, parce qu’un monde livré aux enfants ne sera pas un monde candide, mais un monde largement aussi féroce que celui des adultes. La deuxième, c’est que l’enfant n’a pas de limite s’il est livré à lui-même, pas plus dans l’amour que dans la cruauté. C’est un propos assez similaire à ce roman qui m’avait marqué Sa Majesté des mouches de William Golding paru en 1954.

Signac était proche des milieux anarchistes. Son tableau représente un futur désirable pour l’humanité, une utopie même. C’est un grand bain d’air de couleurs et de lumière, avec des gens qui ne font rien sinon d’être heureux, un tableau qui pourrait parfaitement illustrer Le Droit à la paresse dont je parle plus haut. 

Je pense qu’il faut tomber amoureux d’un tableau au moins une fois par an. Pour moi, cette année c’est “La Vierge au voile bleu” qu’on peut voir dans la chapelle du Château de Chenonceau. En fait, il s’agit d’une copie du XIXe siècle, mais cela ne change rien à l’affaire. Il y a une douceur et une sensualité profondément réconfortante dans ce portrait. Une invitation à la méditation apaisée.

Pour moi, la poésie est une respiration, quelque chose qui, de manière très brève mais très intense, me permet de m’extraire du monde pour mieux le retrouver. J’essaie d’en lire tous les jours. C’est quelque chose d’assez semblable à la prière. J’en écris aussi à l’occasion. Parmi les poètes qui m’accompagnent le plus souvent, il y a Jean-Claude Pirotte, mort en 2014, et qui a eu un destin vagabond, presque comme un héros de roman noir. Alors qu’il était avocat en Belgique, en 1975 il a été accusé d’avoir favorisé l’évasion d’un de ses clients. Il s’est enfui en France vivant en cavale jusqu’en 1981. C’est un poète de l’errance, des petites villes, des paysages. C’est un Li Po (poète Chinois du VIIIe siècle) de langue française. Sa lecture est aisée, il n’est pas dans une forme d’expérimentation intimidante.