Alain Damasio le confiait à Konbini : ”Je suis un auteur de science fiction, je le revendique et j’en suis fier, mais je suis un piètre lecteur de science fiction. J’en lis peu. Mon imagination est plus portée par la philosophie. Pour moi Mille Plateaux est un des cinq plus grands livres du XXe siècle, un des plus créatifs. J’ai dû mettre plus d’un an pour le lire et en comprendre 30%, mais c’est 30% qui changent ta vie.”

L’économie de l’attention est devenue un concept connu du grand public quand Patrick Le Lay, alors patron de TF1, a déclaré : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible ». Depuis l’avènement du numérique dans nos sphères professionnelles, domestiques et personnelles, l’ensemble des traces que nous laissons sur les plateformes des GAFAM forment ce big data qui, une fois passé aux tamis des algorithmes, permet à toutes sortes d’entreprises commerciales d’attirer notre attention sur des services/produits calibrés pour flatter nos désirs de consommateurs. Dans Pour une écologie de l'attention, Yves Citton ne se contente pas de revenir sur la mécanique de cette économie, mais il propose des pistes alternatives pour transformer cette économie en écologie de l’attention, porteuse d’alternatives à “une suroccupation qui nous écrase”.

En l’espace de huit mois - entre l’acte I et l’acte XXXIII des gilets jaunes, sans oublier les images des 151 lycéens de Mantes-la-Jolie tenus en respect, mains sur la tête, à genoux, face à un mur et filmés par un policier qui déclare, goguenard : « Voilà une classe qui se tient sage » -, les images des violences exercées par la police, souvent aux conséquences dramatiques, ont été vues dans le monde entier, et posent questions. Dans son film, David Dufresnes interroge la légitimité et le monopole revendiqué de cette violence, notamment en s’appuyant sur la citation de Max Weber, depuis devenue fameuse : « l’État revendique le monopole de la violence physique légitime ». Mais qu’est-ce que l’État ? La violence légitime ? Qui lui dispute son monopole ? Et qui en tient le récit ? Tous les pays du monde sont confrontés aux violences policières. Pour les démocraties, c’est un enjeu devenu crucial à leur propre survie.

Profondément marqué par la fin dramatique et sans espoir du roman de George Orwell 1984, Alain Damasio laisse, lui, une lueur d’espoir à ses personnages. “La SF se doit de proposer des alternatives.” Très engagé à gauche, Damasio est proche des mouvements comme les ZADistes qui luttent en proposant des modèles alternatifs, qui inventent de nouvelles formes de vies et de liberté. Comme le précise Alain Damasio : “Je préfère être un lanceur de pistes plutôt qu’un lanceur d’alertes.” En plus d’Alain Damasio, on retrouve dans cet ensemble de textes ceux de Virginie Despentes, Bruno Latour et une dizaine d’autres auteurs.

En 2040, dans un monde où le libéralisme règne sans entrave, des entreprises comme Orange ou Nestlé possèdent des villes qu’elles ont rachetées pour le prix de leurs dettes, et dans lesquelles le moindre de nos mouvements est capté afin de nous vendre des services premium sensés nous apporter joies et confort. Dans cet univers, les furtifs sont des êtres mystérieux, insaisissables, et qui vivent sans laisser de trace. Bien entendu, dans une société de la surveillance, la notion de liberté est une menace qu’il faut abattre ou… capturer pour mieux en tirer profit. Lorca, le personnage pivot des Furtifs, travaille pour une étrange unité militaire dont la mission est de capturer une de ces créatures vivantes. Mais c’est également le père d’une petite fille qui a disparu d’une manière inexpliquée. Et si… 

Dans Les Furtifs, publié en 2019, Alain Damasio imagine que des grandes villes sont devenues propriétés de grandes marques dont elles ont racheté les noms et qu’elles gèrent sur un mode libérale qui ne connaît aucune limite. Ainsi Orange est la propriété de l’opérateur téléphonique, Lyon, la capitale de la gastronomie, est devenue Nestlyon après son rachat par le groupe Nestlé leader de l'industrie agroalimentaire, etc. Deux ans après la parution de son roman, Alain Damasio sourit peut-être en voyant la marque Louis Vuitton du groupe LVMH racheter le nom de la commune Vendôme, mais également celui de la place parisienne synonyme mondial du luxe… Dans Perfect Sense, sorti en 2012 sur les écrans, David Mackenzie imaginait un virus qui se répandait à travers le monde sans que rien ni personne ne puisse l’arrêter, et qui obligeait chacun à se protéger avec un masque, à éviter les contacts avec les gens infectés, avant d’être contraint de s’enfermer chez eux...

Il y a du Philip K. Dick dans le livre de Mathieu Bablet sur lequel le souffle des répliquants de Blade Runner caresse les circuits de Carbone et Silicium, deux androïdes qui doivent se cacher pour vivre leur vie au-delà des quinze ans pour lesquels ils ont été programmées. Rapidement séparés après une tentative d’évasion du laboratoire dans lequel ils ont été conçus, ils vivront séparément deux vies différentes, pour finir par se retrouver près de trois cents ans plus tard. Il est question ici des illusions du transhumanisme, de destruction de la vie (la vraie), et de la différence entre connaissance et intelligence artificielle. Alain Damasio signe la postface de Carbone & Silicium.

Sachant que, pour enregistrer des données numériques sur des clouds il faut des serveurs physiques, la question de la conservation illimitée des données stockées finira par se poser un jour. Et qui décidera de supprimer quoi ? Nous ? Une autorité ? Et sur quels critères ? Le nombre de vues ? La morale ? Laquelle ? Dans Préférence système, c’est le Bureau des Essentiels qui se charge de faire le tri. Mais Yves Mathon, le personnage central de l’histoire, ne peut s’y résoudre. Ce qui finira par lui poser de sérieux problèmes. A une époque où la GPA est assurée par des robots, la question que nous pose Ugo Bienvenu est celle-ci : ne sommes-nous définis que par nos données stockées ? Mais alors, quelle place reste-il pour l’expérience ? Chef-d'œuvre.

Tous les sauts technologiques ont été, dans un premier temps, source de progrès et d’amélioration du quotidien. Les problèmes viennent généralement dans un deuxième temps, quand des entreprises s’arrangent pour en dévoyer la nature profonde de ces nouvelles technologies afin de créer addiction, dépendance, voire auto aliénation. C’est souvent une prise de conscience traumatique qui nous arrache à notre torpeur et provoque une réaction salutaire. C’est ce que raconte cette nouvelle d’Alain Damasio dans laquelle Novak, un jeune ado accro à son brightphone, coure à en perdre haleine... Une histoire édifiante dans laquelle il est même question de Van Gogh! 

“ Antonin Artaud fait une analyse des toiles de Van Gogh, où je n’ai jamais vu quelqu’un parler de l'œuvre d’un autre de façon aussi puissante, aussi riche et qui te donne autant de désir de regarder Van Gogh. En ayant lu Antonin Artaud j’ai tout revu différemment et c’est la première fois que j’ai chialé devant une toile. Et c’est grâce à Antonin Artaud qui m’avait préparé à voir ce que j’allais voir et que je le voyais à travers son regard. Il te restitue ça dans une écriture qui est à la fois torrentielle et poétique” A.D.

En 2008, Rone a utilisé la voix de Damasio pour Bora, un morceau de techno minimaliste. Damasio y lit des extraits du journal audio qu'il tenait lors de l'écriture de La Horde du Contrevent. Par la suite, Damasio monte sur scène à plusieurs occasions avec Rone, notamment à la Philharmonie de Paris, il se produit également avec le guitariste Yan Péchin au cours de concerts où il rend au langage “sa puissance performative”.

Le travail d’Alain Damasio sur la langue est une composante souvent saluée comme un tour de force par ses lecteurs. En inventant des mots et en portant une attention particulière à la graphie dans ses romans, Damasio vise à : “accroître la dimension du langage”. Dans son ABCÉDAIRE, à la lettre S comme Style, Gilles Deleuze disait : “Un styliste, c’est quelqu’un qui crée dans sa langue une langue étrangère, et qui porte tout le langage à une espèce de limite musicale”. Il cite en exemple le poète d’origine roumaine, et proche des surréalistes, Ghérasim Luca, dont il dit : “Il fait bégayer la langue”. Alain Damasio porte également une grande admiration à Ghérasim Luca auquel il rend hommage dans Les Furtifs, en composant un poème clin d'œil à Passionnément, le poème le plus long de Luca qui joue avec le son pa.