Orson Welles est la figure archétypale du cinéaste génial et maudit. Encensé pour ses mises en scène de théâtre et ses pièces radiophoniques, Hollywood se jette à ses pieds pour l’attirer dans ses filets. Mais malgré un premier coup de maître avec Citizen Kane (1941), commence le grand désamour entre les studios qui exigent des films qui remplissent les salles, et le créateur qui ne peut se plier aux diktats des producteurs. Cette histoire pleine de panache, de coups de génie et de courses aux financements, Youssef Daoudi la raconte en renversant les codes et les cadres pour créer un mode narration à la hauteur de cet ogre du septième art. Vivelaculture

« J’ai grandi nourri par une bande dessinée qu’on va appeler classique, celle des gaufriers. Avec Asterios Polyp, j’ai découvert une nouvelle façon d’envisager le médium. Mon plaisir a donc été celui du lecteur, mais aussi celui du dessinateur qui découvre un langage nouveau. David Mazzucchelli, qui vient pourtant de la BD classique, il a notamment dessiné de superbes Batman et Daredevil pour Marvel, s’est permis une liberté formelle et scénaristique qui m’a ouvert l’esprit au moment où je me lançais dans mon livre sur Monk. Avec lui j’ai compris qu’à l’intérieur des limites il y a de la place pour pousser la narration plus loin que dans sa forme habituelle. »

Plus que le boxeur admiré par Mohamed Ali, Mike Tyson, ou Miles Davis qui lui a consacré un album, Jack Johnson est une figure admirée pour avoir, non seulement battu un blanc pour conquérir le premier le titre de champion du monde des poids lourds, mais surtout pour s’être rebellé, dès le début du XXe siècle, contre les règles imposées aux Afro-Américains par les blancs. Il en paya le prix fort puisqu’il dût fuir, accepter des matchs truqués, toutes sortes de numéros dégradants pour gagner de l’argent, avant une fin tragique dans un accident de voiture, en 1946. Cette vie incroyable, violente, il fallait bien la puissance du dessin de Youssef Daoudi pour la raconter. Vivelaculture

« À la base je suis un jazzeux, je n’écoute que ça, et ça se voit dans ma sélection ! Pour ce livre, je suis parti du personnage de Pannonica de Koenigswarter, cette femme qui toute sa vie a été en quête de liberté, et de cette histoire d’amitié et d’amour de la musique qu’elle partageait avec Monk. Comment deux êtres aux origines que tout oppose - une héritière de la famille Rothschild et Monk, originaire de Caroline du Nord et grandi à Harlem - comment ces deux aristocrates de la musique en quelque sorte, se sont télescopés. La gageure était de faire passer la musique dans les pages, de convoquer les histoires de rythme et de pulsation. »

« Sonny Liew est un dessinateur né en 1974 à Singapour qui, à travers la biographie fictive du personnage de Charlie Chan Hock Chye, raconte à la fois l’histoire de Singapour, et celle de la BD. Pour ça, au fil de l’histoire et des époques, Liew emploie différents styles de dessin. La force de ce livre tient bien sûr dans la façon dont il passe d’un style à l’autre pour parler d’un épisode ou un autre de la vie de son personnage. Quand on fait référence à l’iconographie d’une époque, il faut que ce soit au service du récit, qu’elle soit insérée dans le flux de la narration. Sonny Liew travaille dans cet esprit. Ce livre est une merveille. »

« Parce que j’adore l’humour, et en particulier l’humour absurde, Goossens est, à mes yeux, un auteur capital. Ici, il raconte les aventures du Père Noël qui se retrouve dans une caserne militaire américaine façon Tant qu’il y aura des hommes, le film avec Burt Lancaster ! Si Goossens n’est pas le plus populaire des auteurs de BD, il est l’objet d’un véritable culte de la part des amateurs et du monde de la BD dans son ensemble. Et c’est mérité ! »

« J’adore le théâtre et les films qui s’en inspirent parce qu’ils sont généralement très bien écrits, aussi pour la profondeur qu’offrent les pièces elles-mêmes. Elles n’apportent pas de réponse mais nous poussent à nous questionner. Le film Glengarry est écrit par David Mamet d’après sa propre pièce. C’est l’histoire de cinq agents immobiliers soumis à la pression d’un chef de secteur démoniaque, une sorte de huis clos dans lequel les personnages se débattent dans leur lâcheté, les machinations les plus médiocres. Les personnages sont interprétés par la crème des acteurs ; Al Pacino, Alec Baldwin, Kevin Spacey, Ed Harris, Alan Arkin, et un de mes acteurs préférés, le génial Jack Lemmon. Dans ce film il y a tout ce que j’aime ; la découverte d’un milieu que je ne connais pas, l’interrogation sur une grande question de l’existence, et une mise en forme à la hauteur du sujet. » 

« C’est un film pour lequel Welles s’est battu des années et qu’il a tourné entre 1970 et 1976, mais sans pouvoir en assurer la fin ni le montage. C’est une sorte d’autoportrait, l’histoire d’un vieux réalisateur porté aux nues puis rejeté par Hollywood et qui revient sur les devants de la scène à l’occasion de son anniversaire et de la sortie de son dernier film. C’est John Huston qui incarne le personnage du réalisateur, et c’est finalement Peter Bogdanovich qui assura le montage final du film d’après les indications d’Orson Welles. Ironie de l’histoire, ce film annoncé depuis des années sur les écrans, est finalement sorti sur Netflix. »  

« C’est un film de guerre qui se déroule en Biélorussie pendant l’occupation allemande. C’est un film de guerre sans être un film de bataille. C’est un drame psychologique tout autant qu’une extraordinaire réflexion sur l'âme humaine à travers les personnages de deux partisans capturés par les Allemands ; l’un accepte de collaborer, l’autre d’être pendu. C’est un film poignant, un film extraordinaire sur le bien, le mal, la possibilité d’une rédemption… » 

« Je suis de formation scientifique, et comme Umberto Eco est un grand épistémologiste, il m’intéresse beaucoup. Dans L'Île du jour d'avant, Eco aborde les problèmes de navigation au XVIIe siècle, plus particulièrement les problèmes de longitude qui était plus difficile à calculer que la latitude. Je trouve ce roman, dans lequel on apprend des choses extraordinaires, particulièrement important aujourd’hui où beaucoup de gens remettent en cause les sciences. Il est fondamental de revenir sur l’histoire des avancées technologiques et scientifiques, de comprendre comment les choses dont on se sert au quotidien ont été construites, de réexpliquer, à l’heure du numérique qui valorise les millièmes de seconde, que parfois les processus sont longs. » 

« Ce qui m’intéresse dans la science-fiction, plus que les effets spéciaux, c’est la façon dont les auteurs questionnent le sens des choses. Je trouve que les thématiques développées sont souvent passionnantes. Dans Le Vieil homme et la guerre, de vieilles personnes de plus de soixante-quinze ans s’engagent pour, leur dit-on, protéger des colonies sur d’autres planètes. Mais les vieux sont transformés en super soldats. C’est un vrai page turner, dans lequel John Scalzi nous amène à réfléchir sur la mort, le corps, le concept de finitude. C’est passionnant et captivant. »

« J’ai attrapé la fièvre du jazz en regardant un concert à la télé, à dix ou onze ans. Ce fût une épiphanie ! J’ai enchaîné les périodes en passant rapidement au be-bop, puis au jazz cool avec Miles Davis Birth of The Cool, Kind of Blue etc., puis le free avec Ornette Coleman et Cie, en passant par le jazz rock avec Uzeb, Weather Report, Return to Forever, Al Di Meola… jusqu’au jazz contemporain, le post-modern, et donc Michael Brecker ce saxophoniste coltranien génial. Pilgrimage est l’album qu’il a enregistré avant de mourir avec toutes les pointures de ses amis, et mes idoles, Pat Metheny, Herbie Hancock, Brad Mehldau…  Les compositions de ce disque sont magnifiques, sans les morceaux bouche-trous sur lesquels on s'endort. C’est précis, la synergie entre les musiciens marche à fond. C’est le grand jeu. Il n’y a rien à jeter. Allez-y les enfants ! »

« Sur Spirits, Gil Scott-Heron prouve encore quel grand musicien et quel grand poète il est, douze ans après Moving Target (1982), douze années pendant lesquelles il a bataillé contre ses addictions. Gil Scott-Heron montre aussi tout son talent de chanteur et de parolier avec des morceaux très engagées, des textes sur la condition des noirs ou sur les complexes militaro-industriels, le tout porté par des musiques géniales. Un album… génial que j’ai retrouvé un jour à bibliothèque du 15e arrondissement ! »

« Le label ECM est porté par l’exigence de Manfred Eicher, son fondateur. On y retrouve de grands musiciens, de grands techniciens qui se remettent sans cesse en question. C’est le cas avec John Abercrombie et son The Third Quartet sur lequel ce roi de la six-cordes est accompagné simplement par une batterie, une contrebasse et un violon pour délivrer une musique qui appelle à la contemplation ! »

« Avec Genius Of Modern Music, on est encore dans le be-bop, mais un be-bop peu conventionnel. Comme le disait Monk, à qui certains reprochaient parfois de faire des fausses notes : “Il faut faire les bonnes fausses notes”. Rien à jeter, Monk est un génie. »

« Ce qu’ont apporté les séries par rapport au cinéma, c’est cet espace supplémentaire pour développer les personnages secondaires. Better Call Saul est l’exemple type de la série où tous les personnages sont bien écrits. Et puis la série aborde des thèmes comme la fraternité, l’estime de soi, le compagnonnage d’un homme et d’une femme avant la bagatelle, avec une approche plus humaine, plus adulte des relations. Ce qui n’empêche pas le suspens et la tension d’être à couper le souffle. Pour moi, c’est une des meilleures séries jamais produites. »