La sélection de Tiphaine Le Gall

La rentrée littéraire a ceci d’intéressant, c’est qu’aux titres d’auteurs reconnus se mêlent ceux de romanciers à découvrir, ainsi que ceux dont on attend les œuvres pour confirmer l’intérêt qu’on a porté à leurs premiers textes. C’est le cas de Tiphaine Le Gall qui, après les très remarqués Une Ombre qui marche (2020) et Le Principe de réalité ouzbek (2022), publie La Fille près du feu, son troisième roman. Eric Chevillard dit de l’écriture de Tiphaine Le Gall : “ Une phrase belle, souple, pleine de petits nerfs sagaces. On dirait une belette.” Tiphaine Le Gall a accepté notre invitation, et nous a livré sa sélection dont elle dit : ” Parfois on se réfugie derrière des références pour masquer sa propre pensée”.

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En Physique

Les autres titres du même auteur :

En Physique
  • La Filles près du feu

    Tiphaine Le Gall - Livre - La Manufacture De Livres - 2024

    À l'âge de dix-sept ans, une jeune femme a brutalement cessé de ressentir : malgré un long séjour en hôpital psychiatrique, aucun remède n'a eu raison de son mal de vivre. Bien des années plus tard, alors en couple, mère de deux enfants, établie dans une vie stable qui lui assure un ancrage et la sécurise, elle se trouve de plus en plus à l'étroit. Elle sent quelque chose sourdre comme un courant ravageur et mène alors une vie de mensonge jusqu'à provoquer sa chute, entraînant la fin de son couple savamment construit. Elle doit alors se confronter à la fragilité de sa solitude.

    Dans la veine de Deborah Levy et Lionel Duroy, Tiphaine Le Gall nous offre une réflexion sur le prix de la liberté. Ses souvenirs, ses doutes, ses espérances nous amènent à nous interroger sur nos contradictions et nos peurs souterraines. 

  • La Terre nous est étroite

    Mahmoud Darwich - Livre - Gallimard - 2000

    L’œuvre poétique de Mahmoud Darwich me touche et m’accompagne dans son ensemble. J’ai rencontré sa poésie vers dix-sept ans. Elle m’a attirée parce qu’elle elle est traduite de l’arabe et qu’elle ne ressemblait à rien de ce que je connaissais, notamment parce qu’elle emprunte des chemins de pensée complètement inhabituels. Ce que j’aime en particulier c’est cette forme de langage qui court-circuite la pensée. Le poème va d’abord nous toucher et ensuite on va le comprendre. J’aime bien que les choses m’arrivent intuitivement. Mahmoud Darwich parle d’expériences humaines universelles tout en ayant eu un parcours de vie fait de traumatismes et d’exils, comme beaucoup de Palestiniens. Quand il parle de l’exil par exemple, il arrive à nous faire croire que c’est un sentiment qu’on connaît tous, ce sentiment d’exil intérieur, de ne plus se reconnaître, de ne plus reconnaître notre environnement. Ces idées me touchent profondément.

  • Prêt Numérique en Bibliothèque : 9782707341624
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    L’Œuvre posthume de Thomas Pilaster

    Éric Chevillard - Livre - Éditions du Minuit - 1999

    Eric Chevillard est un peu mon parrain en littérature. Quand je l’ai contacté, il m’a soutenue et encouragée. L'OEuvre posthume de Thomas Pilaster est présenté comme un roman, mais c’est un texte à la forme très atypique, construit comme s’il s’agissait de l’appareil critique d’un universitaire composé de fragments posthumes de Thomas Pilaster, de commentaires, de notes de bas de page, de préambules etc. On comprend peu à peu, entre les lignes, la relation faite de jalousies et d’admiration mélangées de l’universitaire pour l’auteur. J’ai trouvé que c’était un tour de force littéraire. Ça montre ce qui se dit dans l’implicite, dans le blanc du texte, comment le texte exprime autre chose que ce qu’il dit. Je trouve que les livres d’Eric Chevillard sont très stimulants, à chaque fois il y a un questionnement sur le pouvoir du langage.

  • Prêt Numérique en Bibliothèque : 9782072685125
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    Martin Eden

    Jack London - Livre - Folio - 1909

    Il n’y a pas très longtemps que j’ai lu Martin Eden. Je trouve passionnant le regard que porte Jack London sur le malentendu qu’il y a entre un auteur et son lecteur. Sur la solitude de l’écrivain entre ses moments d'errance et ses moments d’extase. Dans le roman, Martin Eden se met à écrire alors que rien ne le destine à ça. Il apparaît comme buté, fou, obsessionnel, qui malgré les échecs persévère, et qui finit par rencontrer le succès. Le moment où il se rend compte que d’un coup on l’aime, on l’admire, provoque chez lui comme un effondrement intérieur. On comprend comme lui qu’il avait un temps d’avance sur la réception de son œuvre. On sent bien toute la mélancolie qui se dégage de la reconnaissance qu’on peut avoir sur un retour de lecture, parce que pour l’auteur, le livre dans sa forme achevée c’est quelque chose qui a déjà disparu. Pour Jack London, Martin Eden est comme un double. Comme à la fin du roman Martin Eden se suicide, London disait qu’il n’avait pas besoin de le faire parce que son double l’avait fait à sa place. 

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    2666

    Julien Gosselin, Roberto Bolaño - Live - Théâtre national de Strasbourg - 2016

    L’adaptation de 2666, le roman fleuve de Roberto Bolaño - près de mille pages - qu’en a faite Julien Gosselin durait une douzaine d’heures. J’avoue que j'appréhendais un peu en entrant dans la salle, surtout que je n’avais rien lu de Bolaño. Ça a été une expérience de théâtre totale. Julien Gosselin arrive à nous prendre, à nous happer, à tenir sur la durée une forme d’intensité qui va faire qu’on ne va pas lâcher, qu’on ne va pas décrocher. Julien Gosselin a acté qu’on vit dans un monde dans lequel on est saturé d’informations, que notre attention est en permanence diffractée, et c’est ce qu’il reproduit sur scène. À certains moments on va avoir une musique très présente, un écran avec des scènes filmées, une voix off, et sur scène les acteurs. Il sature l’espace scénique. Ça crée une tension. Les comédiens parlent avec un débit rapide, ça se bouscule, ça va vite. Longtemps après ce spectacle m’a habitée, j’ai eu l’impression d’avoir vécu quelque chose avec ces personnages. 

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    Fêu

    Fouad Boussouf - Live - 2023

    J’avais déjà entendu parler des spectacles de Fouad Boussouf. Son spectacle Fêu convoque dix danseuses qui, dans des formes diverses de danse - orientale, contemporaine, africaine -, évoquent le feu, ce feu qui nous attire et nous effraie en même temps. Ces dix femmes aux corps très différents évoluent comme un seul sur des sons de percussions, des vibrations, des sons terriens. Il y a une énergie qui est communiquée par ces corps en mouvement qui est à la fois très belle et très forte, une rage qui fait de la beauté. Le désordre du chaos prend une forme esthétique. 

  • Reckoning

    Asaf Avidan - Audio - Telmavar Records - 2021

    Asaf Avidan m’accompagne depuis de longues années. Je cite un de ses textes dans mon roman La Fille près du feu, parce que j’ai commencé à l’écouter à la naissance de mon premier enfant. « Reckoning Song » en particulier, parce qu’elle aborde le carpe diem de Ronsard qui est aussi un peu le propos de mon livre dans lequel je parle d’un poème de Yeats qui évoque une femme vieille auprès du feu qui se souvient des hommes qui l’ont aimée. C’est le même propos qu’on retrouve dans la chanson d’Asaf Avidan : un jour on sera vieux et on se souviendra des histoires qu’on se raconte, on va remodeler la réalité de ce qu’on a vécu pour le transformer en souvenirs. C’est aussi des mélodies qui explorent des chemins musicaux originaux, des chansons qu’on écoute, qui vont pousser à une forme d’attention particulière. 

  • Freed From Desire

    Gala - Audio - ZYX - 1996

    Si cette chanson me touche, c’est parce que je me souviens très bien de la première fois que je l’ai entendue. C’était chez des amis de mes parents, les enfants étaient à l’étage et on a entendu cette musique qui venait de la pièce où dansaient les parents. Je me souviens très bien de ce moment, à la fois parce que je n’avais jamais entendu quelque chose qui ressemblait à ça, mais aussi pour le décalage créé par cette musique pour les grands et cette enfant d’une dizaine d’années que j’étais en col Claudine et souliers vernis dans une chambre de petite fille. Ça a été une vraie émotion esthétique, une vraie prise de conscience existentielle. Depuis, à chaque fois que je l’entends, cette chanson agit comme la madeleine de Proust, je suis replongée à cette époque et dans les émotions de cette petite fille. Pour moi, c’est une chanson qui rend compte de l’épaisseur du temps. 

  • La Symphonie des éclairs

    Zaho De Sagazan - Audio - Universal - 2023

    C’est un album qui m’a beaucoup accompagnée cet hiver. Zaho De Sagazan a un univers singulier, non formaté, avec une voix très affirmée, d’une grande puissance. C’est aussi un exercice de sincérité, d’une grande maturité de la part de la jeune femme qu’elle est. Zaho De Sagazan a un vrai regard sur la complexité des rapports homme / femme, mais pas dans le courant de la femme victime. Pour un auteur-interprète, le plus difficile c’est d’écrire une chanson d’amour. C’est un exercice difficile à renouveler qu’elle réussit brillamment. Elle arrive à chanter je t’aime d’une façon qui n’a pas été dite, et qui tient, selon moi, à sa sincérité, à la justesse de ce qu’elle exprime.

  • Persona

    Ingmar Bergman - Video - Studiocanal - 1966

    Beaucoup de films me touchent, mais parfois je ne peux pas les revoir parce que je n’arrive pas à mettre un filtre entre l’écran et moi, ça me touche trop. Mais ce que je reproche parfois au cinéma, c’est un côté trop lisse, trop bien ficelé. Ce que j’aime dans un livre, c’est les défauts d’écriture, les choses qui nous échappent. C’est compliqué de glisser un geste gratuit au cinéma, faire un film est une entreprise lourde, et parfois il manque la complexité du réel, ce qui nous échappe dans la vie, la gratuité. Dans Persona tout n’est pas déchiffrable, il y a une part d’inexplicable. Les rôles se mélangent, l’ambiguïté des relations entre la patiente et l’infirmière, celle qui se mure dans le silence et celle qui parle… C’est un film qui a été beaucoup analysé, mais il n’y a pas d’interprétation définitive. On peut toujours gloser, ça échappe quand même.

    Retrouvez cette oeuvre dans d'autres sélections
    Philippe Duclos
    Lars Von Trier
    Lars Von Trier
  • Anatomie d'une chute

    Justine Triet - Video - Le Pacte - 2023

    C’est un exemple de film sans sujet tellement il aborde de sujets. La question qui tue quand on écrit ou qu’on fait un film, c’est de quoi ça parle, l’idée qu’il faut qu’il y ait un sujet, quelque chose de clôt. Ce qui est extrêmement bien réussi ici, c’est la réalité des relations humaines auscultée à la loupe et révélée à la lueur d’un procès qui n’est qu’un prétexte pour faire une analyse minutieuse, anatomique, de ce que c’est que le couple, de ce que c’est que la création, l’amour, la solitude, de comment tout ça s’organise. Tout tourne autour d’un mystère dont on n’aura jamais le fin mot. À un moment, il va falloir décider, dire ce qu’il s’est passé, parce qu’on n’en sait rien, qu’on n’en saura jamais rien. D’une manière métaphorique ou allégorique, c’est un message extrêmement puissant sur nos vies. On aimerait bien avoir la clé sur ce qu’on fait là, pourquoi on est là, mais on n’a jamais l’explication définitive du sens de nos existences.

  • Le Tutoiement des morts

    Alexandre Billon - Livre - L'Arbre Vengeur - 2024

    C’est un livre que je viens juste de commencer, et ça fait longtemps que je n’ai pas lu un texte qui aborde ce niveau de profondeur. C’est un ouvrage qui donne à penser mais qui se lit comme un roman. C’est un jeu de double entre l’auteur et son personnage qui va nourrir sa pensée. Il réfléchit sur le fait qu’on reconnaisse à celui qui a une distorsion de la perception qu’il a peut-être raison.


La Filles près du feu
Tiphaine Le Gall

La Terre nous est étroite
Mahmoud Darwich

L’Œuvre posthume de Thomas Pilaster
Éric Chevillard

Martin Eden
Jack London

2666
Julien Gosselin, Roberto Bolaño

Fêu
Fouad Boussouf

Reckoning
Asaf Avidan

Freed From Desire
Gala

La Symphonie des éclairs
Zaho De Sagazan

Persona
Ingmar Bergman

Anatomie d'une chute
Justine Triet

Le Tutoiement des morts
Alexandre Billon

Dans cette sélection

  • Tiphaine Le Gall | La Filles près du feu
  • Mahmoud Darwich | La Terre nous est étroite
  • Éric Chevillard | L’Œuvre posthume de Thomas Pilaster
  • Jack London | Martin Eden
  • Julien Gosselin, Roberto Bolaño | 2666
  • Fouad Boussouf | Fêu
  • Asaf Avidan | Reckoning
  • Gala | Freed From Desire
  • Zaho De Sagazan | La Symphonie des éclairs
  • Ingmar Bergman | Persona
  • Justine Triet | Anatomie d’une chute
  • Alexandre Billon | Le Tutoiement des morts

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